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Paul Arrivé, journaliste : "Mettre L'Équipe sur la carte de l'esport"

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En décembre 2020, nous sommes allés interviewer Paul Arrivé, journaliste esport au sein du quotidien L'Équipe, pour parler de son métier, de la place de l'esport dans un journal sportif et plus particulièrement de celle accordée à Counter-Strike.

Cet entretien devait être utilisé pour le magazine VaKarM. Au vu de sa durée, nous l'avons finalement coupé en deux. Une première moitié, qui aborde notamment la genèse de l'esport chez L'Équipe, le parcours de Paul Arrivé et des problématiques directement liées à la présence de Counter-Strike dans un média "grand public", sera à retrouver dans le magazine. La seconde, qui porte sur tout le reste des questions qu'on avait à lui poser, est ci-dessous.

Bonne lecture !

Tu es le seul à travailler sur l'esport chez L'Équipe ou d'autres journalistes sont avec toi ?

En tant que journaliste en CDI, vraiment régulier, je suis le seul. Il y a un journaliste qui me remplace quand je suis en vacances, pas quand je suis en repos, donc il y a des jours de la semaine où l'esport n'est pas suivi. S'il se passe un truc, je ne suis pas censé le couvrir. J'ai aussi des stagiaires qui m'accompagnent. Le « problème » des stagiaires, c'est qu'il y a beaucoup de turnover, il faut les reformer à chaque fois, etc., ce n'est pas toujours évident.

Couvrir l'esport à L'Équipe, comme je suis tout seul, c'est couvrir une dizaine de sports différents, une dizaine de scènes, une dizaine de fonctionnements, une centaine de stars... Ce n'est pas facile tout seul. Je me suis un petit peu habitué à cette situation et j'arrive à avoir un oeil partout, ce qui est bien pour suivre l'actu. Un peu moins bien pour faire des sujets de fond, parce qu'il faut justement avoir un oeil sur l'actu, faire une veille assez constante de ce qui se passe, notamment pour les joueurs et équipes français parce qu'on est un média francophone.

Après, il y a d'autres gens à L'Équipe, pas des journalistes, mais qui s'intéressent à l'esport. Des gens au digital, à la vidéo, à la data, qui s'intéressent, qui poussent pour qu'on fasse un peu plus de choses. Je n'aurais jamais pu lancer la chaîne Twitch de L'Équipe tout seul par exemple. Il y a des choses qui se font, se travaillent, mais ce n'est pas évident de faire passer l'esport à l'étape suivante, d'avoir un traitement plus complet, plus large. Il faudra peut-être encore patienter un petit peu. Ce n'est pas facile tous les jours d'être tout seul, mais je m'en accommode, maintenant j'ai pris le pli.

[ndlr : recontacté avant la publication de cet article, Paul Arrivé a apporté des précisions suite aux quelques changements apparus en 2021 : « La situation a légèrement évolué, il y a un journaliste qui couvre une partie de l'actu jeux vidéo et me remplace de temps en temps (Corentin Parbaud) et un autre qui me couvre quand je suis en vacances (Alexandre Domingues). Mais au quotidien, je reste assez seul. »]

C'est toi qui décide entièrement de ce que t'as envie de couvrir, ou est-ce qu'il y a quand même un rédacteur en chef, une certaine hiérarchie qui t'aiguille un peu ?

Je suis rattaché à un pôle, « Adrénaline & Co », où il y a la section Adrénaline, celle des sports extrêmes. Le chef de ce pôle-là, c'est mon chef. Il n'a pas forcément une sensibilité esport/jeux vidéo, donc concrètement je suis quand même assez libre de mes sujets. Je lui en fais part quand j'ai des doutes, quand je me dis que ça mérite d'être publié dans le journal... C'est lui qui participe aux grosses réunions éditoriales, donc quand j'ai des sujets importants ou qu'il y a des périodes de tournois importants, je lui dis de les mentionner. Il y a quand même un rapport hiérarchique. Quand j'étais pigiste, j'avais aussi un rapport plus direct avec les rédacteurs en chef de L'Équipe, en particulier du site. Quand j'ai un vrai gros sujet, c'est aussi à eux que je fais des rapports, avec qui j'échange.

Donc oui, il y a quand même des gens qui contrôlent ce que je fais, mais globalement je reste assez libre de mettre « ce que je veux » sur le site tant que j'estime que ça a sa place. Parfois, il faut faire des choix. Si je fais deux brèves dans la journée et qu'une troisième arrive, et que je suis déjà en train de bosser sur un autre sujet un peu plus large, je ne la fais pas, mais elle aurait mérité sa place autant que les deux autres. C'est quand même moi qui « décide » de ce que je mets ou pas.

Récemment, tu as fait un article sur le ZEvent où tu étais sur place, alors que ce n'est pas vraiment de l'esport, plutôt du divertissement. Est-ce que c'est toi qui prends la décision de l'englober pour faire parler d'un événement comme ça ?

C'est une chose un peu particulière. Le ZEvent, depuis deux-trois ans, on le traite. J'utilise le fait qu'il y a des gens qui ont bossé dans l'esport, ou sont toujours dans l'esport aujourd'hui et qui participent au ZEvent, pour en parler. Je pense que la cause mérite d'être mise en avant dans des médias traditionnels. Même si c'est L'Équipe et pas forcément de l'esport, ça mérite d'être traité parce qu'il y a des gens en rapport avec l'esport. C'est con, mais même ZeratoR a été commentateur de compétitions Starcraft II il y a quelques années, il organise la Trackmania Cup qu'on peut considérer comme de l'esport, donc il y a quand même un lien. Et puis il y a ce côté charité qui mérite d'être mis en avant. C'est un peu une parenthèse par rapport au reste des sujets qu'on évoque dans la rubrique.

Jusqu'à cette année [2020], je le faisais juste avec une annonce avant et un bilan après. Là, je me suis dit que ça pouvait être l'année pour faire un truc un peu cool, y faire un reportage, parce que les circonstances étaient vraiment particulières (ndlr : en 2020, le ZEvent s'est déroulé en période de Covid). C'est toujours un sujet un peu particulier le ZEvent par rapport à l'esport, mais comme on peut le connecter, je me dis que ça mérite d'en parler.

Le but premier de la section esport sur L'Équipe, c'est de donner un nouveau lieu de rassemblement aux fans d'esport ou plutôt d'amener un nouveau public à découvrir la discipline ?

Un peu des deux. Forcément, pour L'Équipe, c'est important d'essayer de toucher le public esport, un public jeune, qu'on a un peu du mal à toucher différemment, qui se désintéresse un petit peu du sport, et de plus en plus au fil des années. Mais je pense que c'est quand même important de garder cette composante d'éducation à ce qu'est l'esport aujourd'hui, où on en est. L'Équipe, il y a ce côté un peu prestigieux où l'on peut dire « on considère Ceb (ndlr : joueur français sur DotA2, double vainqueur de The International) ou ZywOo comme des grands sportifs français, des grands compétiteurs français ». C'est important de les mettre en avant et de le faire comprendre aux lecteurs de L'Équipe.

C'est une mission sur laquelle on devrait travailler un petit peu plus. En cette fin d'année 2020, j'estime que l'équipe CS:GO de Vitality mériterait un article dans le journal par exemple, pour qu'on fasse découvrir aux gens qui ne connaissent pas du tout l'esport – et c'est plus logique dans le journal que sur le web – que cette équipe française est l'une des plus en réussite sur l'année, tous sports confondus. Je pense que c'est aussi une mission de L'Équipe, et elle est importante à conserver. Il ne faut pas juste qu'on se dise « on va capter la génération Z qui adore l'esport ». Il faut aussi qu'on éduque notre public endémique. Ce sont deux missions différentes, mais complémentaires.

Le 29 décembre 2020, la division CS de Vitality a eu droit à sa page dans le journal !

On voit beaucoup l'esport sur votre site, maintenant vous faites aussi des émissions sur Twitch, il y a parfois du contenu sur la chaîne TV, et l'esport a également déjà fait la Une du Magazine. Finalement, le seul support sur lequel l'esport n'est pas encore très présent, c'est le journal papier quotidien. Est-ce que c'est un des buts, à terme, d'avoir chaque jour une ou deux pages sur l'esport dans le journal ? Est-ce que le chemin est encore long pour tendre vers ça ?

Je ne suis pas sûr que ce soit une nécessité, en réalité. Aujourd'hui, il vaut mieux essayer de viser des profils. Des profils d'équipes, de joueurs, pour les faire découvrir au grand public qui ne les connaît pas. Il n'y a pas que le journal en réalité. La télé a fait des trucs sur l'esport mais n'en fait plus ou quasiment pas. Le Mag est très intéressé en effet, on a mis Ceb en Une. Les gens du Mag, le rédacteur en chef, posent des questions sur l'esport assez régulièrement, c'est cool. Mais le journal, comme il y a ce bouillonnement quotidien, c'est plus difficile pour eux de suivre et comprendre au quotidien ce qu'il se passe sur l'esport.

Aujourd'hui, je ne pense pas que ce soit un objectif et une nécessité d'avoir une ou deux pages sur les résultats de l'esport dans le journal. Un article de temps en temps, pour parler de ZywOo, de Kaydop (ndlr : joueur français de Rocket League), de Vitality sur League of Legends, ce serait cool et une vraie avancée.

Est-ce que tu sais si certains de vos concurrents, comme Eurosport, ou d'autres médias plus généralistes, font des choses sur l'esport ?

Il y a quelques petites choses à droite à gauche. 20 minutes s'intéresse ponctuellement à l'esport. Eurosport s'est penché sur la question, mais je ne sais pas si c'est au niveau français ou européen. France Télévisions a un journaliste qui a une sensibilité esport, sur son site surtout. Mais globalement, non, on est les seuls à faire ce qu'on fait, c'est-à-dire un suivi quotidien de ce qui se passe dans le monde de l'esport, qu'importe la scène. Je sais que RMC a dit à un moment « on va s'intéresser à l'esport », mais c'était quasiment que du FIFA.

En réalité, on n'a pas trop de concurrence aujourd'hui sur ce créneau-là, à part les sites plus endémiques, mais est-ce que c'est une vraie concurrence sachant que le public n'est pas vraiment le même ? Je pose la question, est-ce que tu nous vois comme un concurrent ?

La rivalité est compliquée à tenir. Et puis oui, nous, on a une communauté qui vient sur le site depuis dix ans.

C'est ce que j'allais dire, vous avez créé et généré une communauté qui est fidèle, et vous faites du bon taff' pour les conserver. Donc ouais, c'est un peu différent. Mais pour moi, c'est logique que ce soient les médias de sport qui traitent de l'esport, parce que c'est un traitement sportif, tout simplement.



France Télévisions possède une page dédiée à l'esport sur son site, de même que Franceinfo

Est-ce que tu penses qu'à terme, les journalistes esport sont amenés à se spécialiser sur un jeu précis, comme dans le sport traditionnel ?

J'aimerais bien que ce soit le cas. J'aimerais bien pouvoir me concentrer sur LoL, et avoir quelqu'un d'autre qui ferait du CS, et puis de temps en temps je pourrais refaire du CS parce que j'aime bien.

Ce qui est bien quand je suis toutes les scènes, c'est que j'ai une vision périphérique et que je connais des gens sur toutes les scènes, j'ai des sources partout. Mais je ne peux pas travailler en profondeur chaque scène, ni connaître et comprendre comment fonctionne chaque jeu. Ça, c'est un peu chiant. Je ne peux pas prendre le temps de me dire « je vais essayer de comprendre Counter-Strike de A à Z, comment ça fonctionne un cycle économique, quelles sont toutes les poses sur toutes les maps, connaître un peu l'histoire de chaque équipe et de chaque joueur... » Je ne peux pas faire ça, parce que ça demande beaucoup trop de temps.

Mais je pense que ce serait intéressant à terme, ça permettrait d'amener quelque chose de plus, de se dire qu'on a un mec spécialiste en Counter-Strike, qui va faire des articles de malade sur CS, parce qu'il connaît tout de A à Z, qu'il sait super bien écrire, etc. Et moi je le ferais sur LoL, ou sur d'autres jeux, ou je garderais ce côté « recul » et « périphérique » qui me permettrait de faire des sujets un peu comme ce reportage avec Vitality, où je garde quand même une fibre « faut que le grand public comprenne ce que je suis en train d'écrire ».

Ça viendra peut-être, je ne sais pas, c'est dur à dire. L'esport évolue beaucoup, des jeux viennent, il y en a qui restent, il y en a qui disparaissent, c'est compliqué. Mais je pense que ça prendra au moins plusieurs années avant qu'on ait ce truc-là. Si je recrutais un journaliste demain, je pense que je choisirais un journaliste polyvalent, parce qu'on resterait que deux. Ça prendra du temps, c'est sûr.

Ça fait maintenant plus de quatre ans que t'es chez L'Équipe, est-ce que tu sens encore une surprise chez certains joueurs ou équipes que tu vas interviewer, lorsque tu te présentes comme journaliste de ce titre ?

Non, c'est vraiment un truc dont je suis assez fier. J'ai quand même réussi, même s'il n'y a pas que moi, à mettre L'Équipe sur la carte de l'esport, en mode « L'Équipe fait du bon taff' sur l'esport ». C'est un peu « grâce à moi ». C'est un peu prétentieux, mais c'est un peu vrai, comme je suis tout seul. Aujourd'hui, je n'ai pas trop de surprise en face de moi. Des gens qui me disent « ah, L'Équipe parle d'esport ? », ça arrive, mais des gens du milieu de l'esport, non, ils savent que c'est logique, que c'est relayé toutes les semaines. Mais l'inverse, oui, des gens qui découvrent encore que L'Équipe couvre l'esport, il y en a.

C'est normal en même temps.

Oui, dans ce sens-là, c'est normal. Mais je n'ai pas souvenir d'un mec du milieu qui me dise « attends, pour L'Équipe ? WTF ? », en France du moins. Et même à l'étranger en réalité. L'autre fois, j'ai interviewé, pour l'émission qu'on fait sur Twitch, Jacob Wolf (ndlr : journaliste esport américain), et je ne savais pas trop s'il avait une vision sur ce que je faisais, parce que je n'avais jamais échangé avec lui. Et quand je lui ai envoyé un mail, il m'a dit « si si, je regarde ce que tu fais ». Même à l'étranger, les gens savent que L'Équipe fait partie de ces médias un peu prestigieux, connus internationalement, qui parlent d'esport de manière régulière.

Récemment, les Jeux asiatiques 2022 ont annoncé qu'ils accueilleraient de l'esport. Il y a aussi eu des discussions sur une éventuelle présence de l'esport aux Jeux olympiques de 2024, à Paris. Qu'est-ce que tu penses de tout ça ?

Les Jeux asiatiques, c'est intéressant parce que c'était déjà une discipline de démonstration en 2018 et ça avait cartonné. J'ai un souvenir assez cool de cette compét' sur LoL parce que c'était par pays, donc on a eu un Chine-Corée en finale, pour tout fan de LoL c'est quand même un match stylé, surtout qu'on n'a jamais eu de Coupe du monde. Il y avait eu du LoL, du StarCraft – j'ai un doute là-dessus –, du Hearthstone, du PES, du Arena of Valor aussi je crois. Ça fait sens en Asie où c'est beaucoup plus développé. Les gens suivent l'esport de manière hardcore, à une échelle qu'on ne comprend pas ici. C'est vrai pour la Chine, la Corée, mais aussi pour des pays comme le Vietnam.

L'esport aux JO, je n'y crois pas, du moins pas tout de suite, et pas avant plusieurs dizaines d'années. À cause de la nature des jeux : ce sont des propriétés intellectuelles, ce n'est pas un sport, ce n'est pas neutre. Mettre de l'esport aux Jeux, ce n'est pas neutre. Il y a vraiment un truc « marketing » qui casse un peu l'image des Jeux olympiques, donc je n'y crois pas trop. Ça pourrait être bénéfique pour le développement de l'esport d'un point de vue économique, d'un point de vue fans. Aujourd'hui, le public qui suit les Jeux n'est pas prêt à voir de l'esport, mais en même temps on arriverait à en toucher certains. Si c'est la France qui ramène des médailles, les gens s'y intéresseraient aussi. Ils râleraient au début, et puis moins quand on aura gagné les jeux avec l'équipe CS, LoL ou que sais-je ! Mais je pense que ça n'arrivera pas.

Par contre, j'aime bien le système qui existe depuis Pyeongchang (ndlr : ville hôte des JO d'hiver 2018). Le CIO (Comité international olympique) s'intéresse à l'esport, il y voit forcément des intérêts de développement, pour toucher un public qu'il n'arrive plus à toucher. Il sait que c'est compliqué de mettre officiellement, aujourd'hui du moins, l'esport aux Jeux olympiques, alors il s'associe avec Intel et ils font une compétition parallèle. À Pyeongchang, la compétition sur StarCraft était cool à suivre, en plus symboliquement c'est Scarlett, une femme, qui l'a gagnée.


Les IEM Pyeongchang, au milieu des JO d'hiver

Cette année, à Tokyo 2020, il devait y avoir du Street Fighter et du Rocket League [ndlr : en raison de l'épidémie de Covid-19 et des restrictions sanitaires mises en place au Japon, ces tournois ne se sont finalement pas déroulés à Tokyo mais en ligne]. Je trouve ça trop cool, du Street Fighter au Japon... Ce que je disais à L'Équipe, c'est « vous ne vous rendez pas compte, mais des disciplines olympiques vont être moins suivies que le tournoi Stret Fighter ! ». Il y a une vraie association, on sait que c'est compliqué de mettre de l'esport aux JO, mais on va le faire d'une manière un peu détournée, en side project, ce n'est pas non plus une discipline de démonstration.

Je pense que ça va se développer. On passe déjà d'un tournoi StarCraft en Corée en 2018, à deux tournois à Tokyo 2020, un sur Rocket League qui est un jeu qui monte, et un sur Street Fighter qui est un très gros jeu au Japon. J'ai hâte de voir ce que ça va être à Paris, qui est une ville qui apprécie l'esport. Ce n'est pas pour rien qu'on a eu la finale des Worlds de LoL en 2019, qu'on a eu ce village esport sur le parvis de l'Hôtel de ville. Je pense qu'il y aura un beau truc esport à Paris en 2024. Maintenant, aux Jeux, c'est compliqué. Il y a forcément un intérêt, mais c'est dur d'avoir un avis vraiment tranché, oui ou non, sur la question. Ce qui est sûr, c'est que je pense que ça n'arrivera pas tout de suite, et ça n'arrivera peut-être jamais, par la nature de ce qu'est l'esport, tout simplement.

Pour continuer sur cette « montée en puissance » de l'esport, pour l'instant on a de la chance, quasiment tous les événements sont accessibles gratuitement sur Twitch ou d'autres plateformes de streaming. C'est une grosse différence par rapport au sport où il faut souvent payer plusieurs abonnements pour accéder à une offre complète. Est-ce que l'esport est amené à se tourner vers une diffusion payante, ce qui constituerait aussi une nouvelle manne pour les structures, qui pourraient toucher des droits de diffusion ?

Tu me demandes de regarder dans le futur ! Je ne sais pas trop, je ne suis pas sûr. Ça dépend beaucoup de ce que veulent les éditeurs, de leur façon de monétiser l'esport, de se dire « est-ce qu'on a besoin de faire payer les gens pour regarder de l'esport, sachant que ça ne nous rapporte rien directement, mais c'est quand même un atout marketing, donc indirectement c'est important ? ». Je ne sais pas où ils en sont dans leurs réflexions. C'est une vraie bonne question.

Pour moi, pas tout de suite. Sur League of Legends, Riot Games a mis en place un truc payant pour pouvoir suivre le point de vue d'un joueur sur une partie. Tu paies, je ne sais plus, dix euros par mois, et tu peux suivre n'importe quel point de vue de n'importe quel joueur pendant un match de Championnat d'Europe. C'est des add-on assez cools, des trucs en plus. Mais je pense que garder les compétitions accessibles aujourd'hui, sans les faire payer, sachant qu'il y a déjà des droits de diffusion très forts payés par Twitch et YouTube... On n'a pas atteint le moment où c'est plus intéressant pour Twitch, YouTube, les éditeurs, les organisateurs de compétitions, de faire payer pour que les gens regardent, plutôt que de laisser ça gratuit et accessible.

Est-ce que ça évoluera dans ce sens-là un jour, c'est dur à dire. Il y a eu des tentatives, des chaînes TV, des networks, qui se sont posés la question : « est-ce qu'on pourrait avoir l'exclusivité de cette compétition en tant que télévision, et les gens s'abonnent à notre chaîne pour pouvoir regarder ? » Mais les éditeurs et les organisateurs de compét' ne sont pas trop chauds pour ça. Pour l'instant, ils disent « non non, on veut que ça reste gratos et accessible sur Twitch et sur YouTube, parce que c'est notre modèle aujourd'hui ».

Les gens sont habitués à ne pas payer sur Internet, et d'un autre côté ils paient sur Twitch, ils s'abonnent, alors que tu peux regarder Twitch sans avoir à t'abonner, mais les gens le font d'eux-mêmes... Donc je ne sais pas. C'est une très bonne question, qui en pose encore plein d'autres. Je pense que pour l'instant, ça va rester gratuit encore un bon moment, et c'est très bien, surtout à une époque où on se rend compte que les droits TV pour le football, c'est un sujet un peu bancal et très sensible. Je pense que le modèle actuel ne va pas trop bouger pour l'esport. J'espère qu'il ne va pas trop bouger, en réalité.

Pour repartir sur le côté journaliste, il y a un truc « à la mode » en ce moment, ce sont les écoles esport, qui te proposent à la fois d'améliorer ton niveau de jeu, mais aussi de te former un peu à tous les métiers de l'esport, notamment au journalisme et à la rédaction. Est-ce que tu penses qu'il y a vraiment une différence entre une formation « classique » de journaliste et une dédiée à l'esport ?

Je pense que tu peux être très bon en ayant fait une formation dédiée à l'esport, si tu es très bon de base. Mais je pense qu'une formation plus généraliste, où de toi-même dans tes stages tu vas faire du sport – c'est compliqué de faire des stages dans l'esport aujourd'hui, tu peux en faire mais c'est compliqué –, tu vas apprendre l'écriture journalistique sportive, qui est la même que celle de l'esport, c'est plus intéressant pour quelqu'un qui a envie de faire du journalisme esport aujourd'hui. Tu vas apprendre plus de choses, tu vas ouvrir ton esprit à comment fonctionne le journalisme ailleurs que dans l'esport ou le sport. Tu vas avoir des cours d'écriture généraliste, de techniques généralistes.

Je pense que le problème, si tu fais une formation de journaliste esport, c'est que des formateurs, il n'y en a pas beaucoup. Il vaut mieux apprendre auprès de personnes qui sont journalistes généralistes, « traditionnels », et ensuite appliquer ce que tu vas apprendre d'eux à l'esport. Ça vaut pour le journalisme, et pour plein d'autres métiers dans l'esport. Mais dans le journalisme en particulier, parce que c'est compliqué d'identifier aujourd'hui des formateurs qui vont t'apprendre le journalisme esport. Il n'y en a pas, ou très peu, des gens qui savent le faire.

Toi, tu pourrais peut-être.

Oui, mais je ne me sens pas non plus... J'ai cinq ans d'expérience de journalisme derrière moi, c'est peu. Il y a des gens qui sont formés à ça, qui ont l'expérience pour le faire. Les gens qui veulent bosser dans l'esport en tant que journaliste ont beaucoup à apprendre d'eux, plus que de moi. Je peux éventuellement leur apprendre comment fonctionnent les scènes, comment tu traites l'esport... Mais je pense qu'un très bon journaliste de sport apprendra mieux à écrire sur l'esport que moi.

Un grand merci à Paul Arrivé pour cette interview.

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