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Counter-Strike à l'heure indienne

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D'ici quelques années, l'Inde devrait dépasser la Chine et devenir le pays le plus peuplé du monde. Les deux mastodontes sont les seuls à afficher une population supérieure au milliard d'habitants, mais ont aussi un autre point commun : une présence bien faible sur Counter-Strike. Si la Chine tente de remédier à cela avec des équipes comme TyLoo et l'organisation de plus en plus fréquente de tournois au cashprize faramineux, l'Inde se fait encore très discrète sur le FPS le plus important de l'esport.

Bleh à la DreamHack Tours

Quelques signes montrent toutefois que la scène CS est loin d'être inexistante là-bas. En avril, l'organisation américaine OpTic Gaming avait annoncé la création d'OpTic India, une équipe composée exclusivement de joueurs indiens. Avec un tel soutien, la line-up en question pourrait tirer toute la scène nationale vers le haut. Cinq chanceux ont ainsi été sélectionnés et le pari semble payant pour l'instant puisqu'OpTic India a déjà réussi à remporter les qualifications nationales pour l'eXTREMESLAND, un tournoi international chinois à 100 000 $.

Il y a une poignée de jours, c'était au tour de la DreamHack de se positionner sur le marché indien avec l'officialisation de la DreamHack Mumbai, en décembre prochain. À cette occasion, quatre équipes, deux indiennes et deux étrangères, s'affronteront sur CS:GO pour ce qui pourrait être la première édition d'une compétition destinée à devenir récurrente. Encore plus récemment, ESL a fait rentrer l'Inde dans le giron de l'ESL Pro League Asia, donnant ainsi aux équipes nationales une chance de jouer les finales mondiales de cette compétition renommée.

Tranquillement, l'Inde fait donc son petit bonhomme de chemin. Dans quelques temps, ses résultats à l'international ne se limiteront peut-être plus à la performance de Team Wolf à l'ESL One Cologne 2014, invitée par Valve et qui avait inscrit la bagatalle de 11 rounds totaux face à NiP et HellRaisers. Pour savoir si la montée en puissance future de la scène indienne est plausible et réalisable, nous sommes allés demander son avis à Sudhen "Bleh" Wahengbam, analyste indien ayant déjà pris part à des événements estampillés DreamHack, ESL, StarLadder ou FACEIT, notamment lors du dernier Minor asiatique.

Il nous a parlé de Counter-Strike dans son pays. Du dynamisme de la scène nationale, des progrès des meilleures équipes nationales, des motifs d'espoir pour l'avenir, mais aussi des organisations peu scrupuleuses qui essaient de prendre leur part du gâteau, des difficultés à s'entraîner correctement et de tout ce qu'il reste encore à accomplir pour qu'un jour, peut-être, l'Inde ait sa place à part entière sur la scène mondiale.

Peux-tu te présenter et nous parler un peu des différents rôles que tu peux avoir sur la scène Counter-Strike, en Inde mais aussi à l’international, puisque l’on te voit de plus en plus souvent sur de gros tournois ?

Salut ! Je m’appelle Sudhen, mais on me connait sous le surnom de « Bleh ». Je caste du CS:GO depuis maintenant 5 ans, et je suis fan de la franchise depuis bientôt 18 ans. J’ai essayé beaucoup de choses différentes dans le milieu, en passant par la création de contenu spécifique à la région asiatique, l’organisation d’événements, etc.

Tu as d’abord surtout travaillé sur des événements indiens ou asiatiques, mais l’on te voit désormais de plus en plus sur les plateaux lors de tournois européens, comme la DH Tours ou Valencia. Comment s’est passée ton « ascension » dans le milieu ? Qu’est-ce qui t’a permis de gravir les échelons ?

Mes premiers pas à l’international sont à l’origine dus à ma connaissance et à mon expertise de la scène asiatique, parce que je commentais alors beaucoup de tournois régionaux sur ma chaîne Twitch. Et jusqu’à l’année dernière, les seuls tournois internationaux que j’ai couverts étaient les Minors Asie.

C’est seulement lorsque StarLadder m’a invité au StarLadder Invitational, qui a eu lieu à Shanghai en fin d’année dernière, que j’ai eu l’opportunité de travailler pour un événement qui accueillait des équipes européennes. Depuis, j’ai également pu participer aux Bets.net Masters (qui étaient aussi organisé par StarLadder), et Marc Winther de chez DreamHack m’a proposé de faire un essai à la DreamHack Open Tours.

Ce qui m’a permis de gravir les échelons, au final, c’est à la fois mon travail acharné, ma capacité à me faire connaître, et une petit dose de chance. Et de la patience.

Peux-tu détailler un peu plus ce qu’est SoStronk et son rôle sur la scène indienne/asiatique ?

Pour faire simple, SoStronk est une entreprise qui a été créée par un groupe de potes passionnés par CS, et qui ont voulu, il y a quelques années de cela, faire quelque chose pour la scène indienne et asiatique. Le concept est très similaire à FACEIT/ESEA, mais spécifique à l’Asie, avec sa propre plateforme et ses serveurs. L’entreprise a déjà eu l’occasion de travailler avec certains grands noms du milieu, comme DreamHack ou PGL.

Je suis à la tête de leur WebTV depuis un moment, et je porte plusieurs autres casquettes au sein de l’entreprise.

Pour être honnête, on ne sait pas grand-chose de la scène indienne ici, alors essayons de commencer par le commencement. CS:GO a-t-il rencontré le succès là-bas ? Le nombre de joueurs est-il conséquent ?

CS:GO est, je dirais, l’un des jeux voire le jeu le plus joué dans le pays d’un point de vue esport. Je ne suis pas sûr du nombre exact de joueurs actifs, mais j’ai entendu venant de plusieurs sources que c’était un nombre assez conséquent.

Le plus grand problème est qu’il y a une différence importante entre le nombre de joueurs occasionnels et le nombre de joueurs compétitifs. Il y a énormément de joueurs occasionnels, mais ils ne connaissent rien de l’aspect esport du jeu. Si on parvenait à connecter les deux, les choses seraient certainement différentes, parce qu’il y a beaucoup de talents inexploités.

Par le passé, des jeux comme Counter-Strike 1.6 ou Counter-Strike: Source étaient-ils déjà réputés ? Ont-ils joué un rôle important dans la construction de la communauté ?

CS 1.6 a été un énorme succès. A tel point que la line-up légendaire de chez fnatic de 2006-7, avec cArn, dsn, f0rest, etc., est venue dans le pays pour faire une campagne de publicité pour le jeu, début 2007.

Mais les infrastructures internet de l’époque étaient vraiment mauvaises, et la scène nationale se recentrait autour de quelques cybercafés locaux. De ce fait, il était compliqué de se faire connaître, et la scène n’a jamais pu se développer correctement malgré la présence d’un certain nombre de joueurs et d’équipes très impliqués.

Les infrastructures (matériel informatique récent, connexion internet de bonne qualité) sont-elles suffisantes pour pouvoir jouer dans de bonnes conditions ? Cela ne constitue-t-il pas un trop gros frein au développement de l’esport dans le pays ?

De nos jours, l’Inde possède une infrastructure internet très correcte et abordable, donc la plupart des gens sont bien équipés. Je pense que le principal problème, actuellement, c’est l’information et la sensibilisation. Si l'on parvient à impliquer la masse de joueurs occasionnels, il se pourrait que l’Inde se révèle être un géant de l’esport. Cela va prendre du temps, mais je pense qu’on y arrive petit à petit.

La seule apparition notable de l’Inde au haut niveau reste la présence de Team Wolf à l’ESL One Cologne 2014, après qu’un slot ait été dédié à l’Inde. Est-ce que la participation d’une équipe indienne à une aussi grosse compétition a eu un impact important sur la communauté à l’époque ?

Au début, oui, la communauté était très enthousiaste à l’idée de voir ce que l’équipe pourrait accomplir. Mais il était évident, en voyant leur performance, qu’ils avaient beaucoup de retard à rattraper. L’excitation initiale a vite laissé place à un certain pessimisme, et il persiste encore aujourd’hui.

Mais je pense que c’était aussi une bonne occasion de voir ce que l’on valait. Au moins, on a su quel était notre niveau par rapport aux autres, et ce qu’on devait faire pour progresser à partir de là.

Team Wolf à l'ESL One Cologne 2014, troisième Major de l'histoire de CS:GO

Aujourd’hui, quelles sont les meilleures équipes indiennes ? Où pourrais-tu les situer par rapport au reste de la scène asiatique/ du Moyen-Orient ?

Actuellement, OpTic India et Entity sont les deux meilleures équipes. Mais comme ces deux line-up sont très récentes, je pense qu’on verra avec le temps où elles se situent vraiment sur la scène asiatique. Cela étant dit, j’ai eu l’occasion de regarder leurs matchs, et tout le monde peut s’accorder à dire qu’ils vont dans le bonne direction, et ça n’avait pas été le cas depuis longtemps.

Les joueurs de ces équipes peuvent-ils vivre du jeu vidéo ?

Les joueurs d’OpTic et Entity ont des salaires, une gaming house, du matériel, etc. Il me semble que quelques autres équipes gagnent de l’argent, mais pas beaucoup.

Comme tu l'as évoqué, OpTic Gaming a récemment pris sous son aile une équipe indienne. Comment l’arrivée d’une aussi grosse structure a-t-elle été vécue dans le pays ? Aujourd’hui, un peu plus de trois mois plus tard, où est-ce que ce projet en est ?

J’ai été impliqué dès le début dans le processus de recrutement d’une équipe pour OpTic (SoStronk a travaillé avec OpTic). Nous avons fait une sélection ouverte à tous où plus de 1 400 personnes se sont présentées, et nous en avons finalement retenu 5. La plupart des joueurs étaient des petits nouveaux qui n’avaient jamais été testés auparavant, et nous avions le sentiment qu’ils avaient la bonne mentalité et le talent pour aller loin.

3 mois plus tard, ils sont actuellement la meilleure équipe du pays, suivis de près par Entity Gaming qui était numéro un depuis presque un an. Le fait que leur coach et IGL soit Lukas "yb" Groening, un ancien joueur allemand qui s’était déjà impliqué en Inde, les a très certainement aidés à avoir une approche différente du jeu.

Les équipes indiennes ont-elles des occasions de s’entraîner contre certaines équipes chinoises, thaïlandaises ou d’autres pays, afin de ne pas rester en cercle fermé entre elles ? Ou est-ce trop complexe à mettre en place ?

Oh, la plupart des équipes du top national s’entraînent souvent avec des équipes d’Asie du Sud-Est ou de Chine. Bien sûr, le ping est parfois un problème, mais ce n’est pas insurmontable, la plupart des Indiens ont une bonne connexion sur les serveurs de Singapour.

Le problème ne vient pas d’un manque d’entraînement et de pracc' avec d’autres équipes, mais plutôt de ce qu’ils essayent d’en tirer. J’ai été assez choqué d’apprendre que certaines équipes prennent ces pracc' pour de vrais matchs et essayent de les gagner à tout prix plutôt que d’essayer et de peaufiner de nouvelles strats. Ce que cela montre, c’est qu’il manque à la plupart des joueurs de ce pays une certaine compréhension de la manière d’approcher le jeu.

Au niveau des lans et des organisateurs de tournois, le circuit indien est-il bien doté ? Les tournois nationaux/locaux sont-ils nombreux ?

Curieusement, je pense que l’Inde met plus d’argent et organise plus d’événements sur CS:GO que tout le reste de l’Asie réunie, excepté bien sûr la Chine. Il y a l’ESL India Premiership League, qui s’étale sur toute l’année et se termine par 3 à 4 lans par an. Il y a aussi de nombreuses autres lans, et évidemment des qualifications en ligne pour les DreamHack Masters, ESL One, IEM, le Minor Asie, etc. Nous ne manquons clairement pas d’opportunités.

ESL a un championnat dans le pays, l’ESL India Premiership. Quelle est son importance sur le circuit ? De manière générale, qu’apporte la présence d’ESL dans le pays ?

Personnellement, je pense que c’est l’événement le plus important que nous ayons dans notre pays, parce que cela force les équipes à jouer pour une saison entière avec les mêmes joueurs, ce qui procure un semblant de stabilité. Sans ça, les équipes feraient des changements toutes les deux semaines, ce qui ne rime évidemment à rien.

Je pense aussi que l’organisation fait du très bon travail en diffusant les matchs et en essayant de produire du contenu de qualité pour les fans locaux.

Entity eSports, vainqueur de l'ESL India Premiership 2017 Winter

Penses-tu que l’Inde serait prête à accueillir un tournoi international sur CS:GO, avec des équipes du top/subtop monde ? Les organisateurs et infrastructures seraient-ils à la hauteur?

Non, pas pour le moment. Après avoir eu l’opportunité de participer à plusieurs tournois internationaux sur CS:GO, je peux affirmer que nous ne sommes pas encore prêts, mais que nous nous en rapprochons de plus en plus.

Les infrastructures sont là, mais je ne pense pas qu’il y ait assez de personnes de talent dans le pays qui soient en mesure d’organiser un bon événement. Mais avec tout l’argent qui circule actuellement sur la scène indienne, je pense qu’un partenariat avec ESL, DreamHack ou PGL serait le meilleur moyen de mettre en place un gros tournoi.

En dehors des infrastructures, quels sont les autres freins qui pourraient empêcher CS:GO, et plus globalement l’esport, de décoller ? Est-ce que la taille du pays ou ses spécificités géographiques ont une influence sur ce décollage ?

Je ne pense pas que les infrastructures soient encore un problème. Le principal souci vient d’un manque de visibilité qui fait que nous ne parvenons pas à attirer les joueurs occasionnels. Le potentiel est pourtant énorme ! Ces dernières années, les infrastructures se sont largement améliorées, et l’internet haut débit est à un prix raisonnable. Il y a aussi eu beaucoup plus de tournois de qualité, et des prize pool plus importants.

Je pense que le plus gros frein, c’est que beaucoup de jeunes joueurs ne sont pas assez indépendants pour faire carrière par eux-mêmes et doivent compter sur le support de leurs parents. Et comme les jeux vidéo n’ont généralement pas une bonne image dans le pays, c’est un tâche qui s’avère compliquée.

Récemment, il y a eu une polémique à propos de l’ESFI, Esports Federation of India, qui ferait signer aux joueurs des contrats pas à leur avantage. Quel rôle a cet organisme, et d’autres similaires s’il en existe, dans l’essor de l’esport en Inde ? La polémique a-t-elle écorné son image ?

La plupart des organisations, dont l’ESFI, n’ont aucun réel pouvoir sur l’esport en Inde. L’ESFI ne fait absolument rien pour aider la scène, à part organiser les qualifications pour l’IeSF (International eSport Federation), ou plus récemment pour les Asian Games.

Plusieurs organisations de ce genre ont vu le jour, avec pour but de « réguler » la scène, mais la plupart sont juste des opportunistes cherchant une occasion de s’octroyer le monopole de la scène sous le couvert de régulations. Tous ces organismes freinent le développement de la scène indienne plus qu’ils ne l’aident.

Je ne vois personne qui soit assez qualifié et sans mauvaises intentions dans ce pays pour pouvoir créer un réel organisme régulateur. Je pense que la scène doit se développer d’elle-même, et nous avons pour l’instant besoin d’un marché ouvert sans la moindre régulation. Le reste sera pour plus tard.

Dans un pays où les traditions (et peut-être les castes) jouent un rôle important, est-ce que la progression de l’esport - qui porte un message de modernité et d’égalité des chances - est ralentie ?

Je pense qu’un des plus gros changements de la société indienne lors de ces dernières décennies a été l’émergence d’une classe moyenne éduquée et active, et avec elle d’une plus grande ouverture d’esprit et d’un meilleur pouvoir d’achat.

Ça aide sans aucun doute l’esport. Il y a encore beaucoup d’idées reçues sur les jeux vidéo, mais à mesure que l’esport se développe, les choses changent. Par exemple, la saison précédente de l’ESL India Premiership a été diffusée sur une chaîne télévisée, et je suis sûr que certaines personnes ont changé de point de vue grâce à ça.

Les médias indiens parlent-ils de l’esport et de CS:GO ? Si oui, quelle image en donnent-ils ?

Pour être honnête, ils n’en parlent pas vraiment. Il arrive que de gros journaux fassent des articles sur l’esport, mais ils sont rarement approfondis. Ceux qui en parlent ne sont généralement pas du milieu, mais c’est toujours d’un point de vue positif.

Peut-être que le jour où l’esport décollera enfin en Inde, les médias commenceront à faire remarquer que CS est trop violent :D

Merci pour ces réponses ! Le mot de la fin est pour toi

Merci pour l’interview ! Certaines questions étaient très intéressantes, et je trouve ça très cool de votre part de faire des articles sur les scène les moins connues !

Un grand merci à Bleh pour l'interview ! Merci également à Miles et Jujubez pour la traduction, ainsi qu'à LordBaguette pour les bannières

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