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Le leader in-game, plus jamais seul

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Deux ans et demi après la parution du magazine VaKarM, fin 2021, nous avons décidé de mettre en ligne les principaux articles le composant, histoire d'en faire profiter ceux qui ne l'avaient pas commandé à l'époque. Ne vous étonnez donc pas si ces articles vous disent quelque chose, il est possible que vous les ayez déjà lus sur papier !

Resté l’unique maître à bord pendant de longues années, seulement assisté par un éventuel co-leader et des coéquipiers plus ou moins loquaces, le meneur peut compter sur un soutien de poids depuis l’émergence des coachs et analystes. Des hommes supplémentaires qui multiplient les possibilités stratégiques, mais nécessitent aussi l’instauration d’une alchimie sans faille.

De l’avis général, XTQZZZ constituait l’une des raisons majeures du succès de Vitality lors de son passage dans la structure, entre 2018 et 2021. Pourtant, l’ancien caster n’était pas assis au milieu des joueurs, pas plus qu’il ne fraggait à outrance. Mais son apport en tant que coach se révélait décisif, comme le confirmait d’ailleurs apEX en 2019 : "ALEX travaille beaucoup avec XTQZZZ sur notre manière de jouer à CS, et c’est vraiment important parce qu’ils sont d’accord sur ce que nous devons faire. [...] Une des choses qui nous a aidés à progresser est le coaching de XTQZZZ. Ce mec est le meilleur coach que j’ai jamais eu, de loin. Il fait un boulot formidable. Je travaille avec lui depuis plus d’un an et il apporte tellement à l’équipe." Un discours qui n’aurait sans doute pas existé quelques années plus tôt : le coach n’a pris une importance capitale au sein des équipes que récemment.


ALEX et XTQZZZ, de la victoire à la Cap Arena à la finale de l’ESL One Cologne

Le jeu s’est pendant longtemps résumé aux cinq joueurs connectés sur le serveur, avec un leader et ses soldats autour. Si sixième homme il y avait, il occupait généralement le poste plus administratif de manager.

L’exemple le plus célèbre en France est sans doute NiaK, passé, en plus d’une décennie, derrière inSain, WebOne, H2k, Epsilon, redLine, VeryGames, Titan et G2. Directement présent aux côtés de son escouade avant l’apparition des coachs, il n’a pourtant jamais réellement apporté d’appréciation tactique, se contentant de ragaillardir les troupes ou de maintenir leur concentration au besoin. Le principal intéressé en a toujours eu conscience : "Quand vous suivez une équipe depuis plusieurs années, que vous écoutez la communication et participez aux discussions autour du jeu, vous développez naturellement une certaine expertise. Pour autant, dans mon cas, elle n’est pas suffisante pour m’imposer quand il s’agit de résoudre une problématique profonde ou de créer quelque chose de neuf. Je ne suis pas suffisamment passionné par cet aspect et je ne l’ai jamais pratiqué en tant que joueur, je n’ai donc ni la compétence, ni la légitimité pour jouer ce rôle-là au sein de l’équipe."

Next, autre manager autrefois emblématique en France, tiendrait vraisemblablement le même discours. De son côté, MoMaN a pu osciller entre management et coaching grâce à son passé de bon joueur.

Le rôle d’un coach en tant que bras droit du leader in-game, aussi bien au niveau tactique qu’humain, n’est apparu que petit à petit. La multiplication du nombre de tournois et l’explosion des cashprizes ont poussé les structures à mieux s’équiper afin d’améliorer leur jeu et d’optimiser leur approche. La professionnalisation et la hausse des moyens financiers à disposition ont permis de prendre en charge ce nouvel élément à temps plein, l’imposant comme une pièce désormais indéboulonnable dans de nombreuses formations.

Dans l’Hexagone, les débuts ne furent pourtant pas évidents. Les passages de pm et ioReK chez Titan, en 2014, restent presque anecdotiques tant ils s’avérèrent brefs et ne permirent pas d’inverser la tendance d’un collectif déjà embourbé dans ses tracas. Constat à peu près similaire pour Maniac et EnVyUs en 2016 : arrivé pour "aider l’équipe à se dépasser non seulement sur le point de vue tactique mais également humain", le Suisse, diplômé en psychologie, restera à peine trois mois, la faute à une ambiance interne compliquée et à l’impossibilité de réellement débattre de la stratégie dans un tel contexte. "Beaucoup de tensions, confiance assez basse et remise en question des acquis ont fait que je devais plus faire de la psychologie d’urgence et 'faire la police' que du travail constructif de longue haleine", constatera Maniac après-coup.

Les femmes avaient pourtant montré la voie. En 2006, les btb deviennent championnes du monde à l’ESWC en étant coachées par milkman, à la fois stratège, soutien moral et organisateur d’entraînements, à une époque où personne ne savait réellement ce qui se cachait derrière ce rôle. C’est aussi lui qui désigna MiTsu comme capitaine, persuadé qu’elle possèdait toutes les qualités requises pour être la voix de la line-up, même si elle n’en avait pas encore conscience. "C’est lui qui a renforcé notre esprit d’équipe. Il décidait des transferts de joueuses, nous demandait toujours plus de sérieux, d’entraînement et d’investissement. Il organisait des bootcamps pendant les périodes de vacances et nous faisait regarder les vidéos des meilleures équipes masculines pour nous inspirer, celles qui ne suivaient pas se faisaient remplacer", se souvient MiTsu.

Huit ans plus tard, rebelote, 3DMAX s’impose dans la même compétition, avec cette fois-ci Lambert debout derrière les cinq joueuses. Un renfort tactique évident, ce dernier étant alors dans le même temps le meneur de webSPELL.


milkman, à gauche, artisan du sacre des BTB à l'ESWC 2006

Chez les hommes, seul le pionnier Wily, oscillant entre analyste, manager et psychologue chez goodgame puis Millenium de 2003 à 2010, a donné au coach ses premières lettres de noblesse. Derrière, les initiatives ne se bousculaient pas au portillon. Le coach était un joueur extérieur venu apporter son soutien pour un tournoi précis, un remplaçant de luxe à qui l’on donnait ce titre pour ne vexer personne, mais pas encore un incontournable et encore moins un éventuel "supérieur".

Il a fallu attendre 2017 pour que le rôle prenne véritablement de l’ampleur. SmithZz chez G2 et maLeK chez EnVyUs ont entériné l’importance de faire confiance à un sixième membre. Ont ensuite suivi XTQZZZ chez Vitality, Ozstrik3r chez *aAa* puis Team-LDLC, sans oublier tous les néophytes en poste dans le subtop. Autant d’anciens joueurs prêts à définir ce rôle en valorisant toute sa dimension stratégique, et autant de synergies à créer avec le leader in-game en place.

 

À la recherche de l’harmonie

Il ne faut pas se leurrer : un coach efficace, c’est avant tout un coach en parfaite symbiose avec son leader. Ce n’est évidemment pas un hasard si shox, tête à penser de G2 à l’époque du troisième shuffle français, a jeté son dévolu sur SmithZz, son compagnon de toujours et co-leader attitré lorsqu’il jouait encore, au moment de choisir un coach. "Aucun profil français n’était vraiment intéressant pour occuper ce poste à ce niveau. Nous avons donc pensé à Eddy (SmithZz) qui, autant dans le jeu qu’en dehors, apporte énormément" expliquait shox lors de l’annonce officielle.

Il faut aussi se souvenir des longues discussions entre Happy et maLeK avant les matchs d’EnVyUs, initiées des années plus tôt alors que les deux n’ont pourtant quasiment pas joué ensemble, ainsi que le racontait maLeK : "Il y a eu un moment où l’on s’est beaucoup côtoyés. Des fois, il n’y a pas besoin de faire une équipe. Tu es avec des personnes sur un TS ou un Mumble, tu vas passer des nuits jusqu’à 8h du matin à discuter avec quelqu’un, tu vas t’apercevoir de certaines choses. À un moment donné, j’ai eu ça avec Vincent (Happy), il y a eu une certaine complicité. C’était entre Source et CS:GO. On pouvait parler des heures et des heures, il y avait quelque chose. [...] Après, j’ai arrêté à ce moment-là, mais quand je suis revenu et qu’on a rediscuté, c’était un peu comme un truc qu’on n’avait pas terminé."

Cet équilibre entre respect mutuel, confiance aveugle et hiérarchie sous-jacente, XTQZZZ en est peut-être devenu le spécialiste. En trois ans chez Vitality, le coach a connu trois leaders consécutifs : NBK, ALEX et apEX. Il a dû prendre la décision d’exclure le premier lorsque l’équipe était en proie à de fortes tensions internes, faire face au départ volontaire du second alors que la saison 2020 venait à peine de débuter, et former le troisième à ce rôle inédit pour lui lorsqu’il en prit la responsabilité. À chaque fois, Vitality en est sortie gagnante. Et le travail de XTQZZZ, dans l’ombre de ses meneurs, a été acclamé. Son expérience de leader in-game lorsqu’il était encore joueur lui a été indispensable. "Coach, c’est être un leader. Sans ça, son message ne peut pas être écouté", assure-t-il.


Coach chez webSPELL et melty, XTQZZZ redeviendra joueur et leader dans la seconde en 2015

Il n’est ainsi pas étonnant de constater que les principaux Français ayant occupé ce poste à haut niveau avaient déjà tous des responsabilités lorsqu’ils jouaient encore. B1GGY, peut-être le moins célèbre d’entre eux mais qui a coaché Heretics pendant de longs mois en 2020, n’échappe pas à la règle : "J’ai toujours été leader ou co-leader dans mes équipes et j’ai toujours kiffé le côté stratégique du jeu."

Lors de l’annonce de sa retraite de joueur, Ex6TenZ avait affirmé qu’il souhaitait se recycler en coach afin de poursuivre son travail effectué durant plus de dix ans en tant que leader. "Je n’ai peut-être plus la motivation de m’entraîner dix heures par jour individuellement en plus du travail stratégique, mais j’aime toujours le jeu, le collectif, le travail bien fait, la volonté de faire ressortir le meilleur de mes joueurs, tant dans le groupe que pour chacun. Je veux transmettre ces valeurs et m’immerger davantage dans l’analyse, l’observation et le management d’un groupe. Pour toutes ces raisons, je veux devenir coach. Je savais depuis un moment que ce serait la prochaine étape logique pour moi parce que ma vision devenait de plus en plus globale, et plus uniquement centrée sur moi-même", détaillait le Belge.

Si la promesse ne sera finalement pas tenue, Ex6TenZ filant plutôt sur Valorant pour tenter de trouver une seconde jeunesse en tant que joueur, le discours était clair. Un leader tel que lui ne pouvait qu’envisager une reconversion dans la voie du coaching. Ce poste apparaît comme la suite naturelle pour de nombreux meneurs. Un constat logique tant les deux rôles se révèlent intriqués, tant en jeu qu’en dehors. Et qui ne devrait que se confirmer à l’avenir.

 

Vers une prise de pouvoir des coachs ?

Le coach prend en effet de plus en plus de place au sein du collectif, afin d’accompagner le leader dans son approche mais aussi d’apporter une vision plus générale, là où le capitaine a en permanence la tête dans l’écran. "Une personne qui est coach ou dans une position plus reculée, elle va penser avant tout à l’équipe et à chacun des joueurs. Si tu donnes le pouvoir à un joueur, il peut faire énormément de choses à sa convenance. Même s’il pense agir pour le bien de l’équipe, il mettra toujours l’accent sur ses idées plutôt que sur l’idée générale. Et ce qui est important, c’est toujours l’idée générale", assure XTQZZZ. Lors des mises à l’écart d’Happy et NBK chez Vitality, c’est lui, en accord avec les joueurs, qui a initié le processus. Fin 2020, quand G2 dut choisir entre AmaNEk, JaCkz et kennyS, le coach maLeK détenait une bonne partie des clés de la réponse, là où le leader nexa aurait sans doute pris la décision seul avec ses coéquipiers quelques années plus tôt.

Se passer de l’apport d’un coach semble aujourd’hui impossible pour une line-up souhaitant se hisser parmi les meilleures. Même dans le subtop, l’arrivée de ce nouvel homme au sein d’une équipe semi-professionnelle voire amateure ne surprend plus personne. Compagnon de route parfait du leader, l’épaulant tant d’un point de vue stratégique qu’humain, le coach peut même désormais le surpasser lorsqu’il s’agit de gérer les questions internes tels que les changements de joueurs. Un fonctionnement qui n’est pas sans rappeler celui du sport traditionnel.


bodyy - SmithZz - shox, la triforce de G2 2017

À partir de là, deux routes se dessinent. D’un côté, celle dans laquelle sont déjà engagées les structures, qui n’hésitent pas à renforcer davantage l’entourage du leader et de sa brigade en se dotant d’analystes ou de coachs assistants, comme l’ont été evy chez G2 puis Evil Geniuses ou WiPR et MaT chez Vitality. Ils visionnent encore plus de démos, fournissent encore plus d’informations sur le jeu et donnent encore plus de cartes aux joueurs pour améliorer leur jeu et contrer celui des adversaires. Des psychologues viennent aussi soulager la charge mentale du leader et l’aider à prendre ses troupes en main sur l’aspect émotionnel.

De l’autre, celle que préfère Valve, pour qui Counter-Strike doit rester un jeu se pratiquant à cinq contre cinq, que vous soyez professionnel ou simple Nova 2. L’éditeur du titre a déjà largement restreint l’apport des coachs depuis leur démocratisation, en limitant par exemple leurs prises de paroles en match aux uniques pauses tactiques, alors qu’ils pouvaient s’exprimer librement à tout moment lorsque la fonction est apparue. Récemment, il leur a même interdit de se trouver dans la même pièce que leur équipe lors de certains tournois en ligne, suite à une affaire de tricherie ayant impliqué des coachs reconnus de la scène.

Quoi qu’en dise Valve, la disparition du staff mis en place ces dernières années semble maintenant impossible. La professionnalisation pousse à continuer dans cette voie. "Ce 'job' est encore à inventer pour qu’il trouve son efficience", estimait pm en 2014 lors de sa pige chez Titan. Huit ans plus tard, la plus-value amenée par les coachs a définitivement fait ses preuves. Le leader in-game ne sera probablement plus jamais seul.

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